C’est pourtant pas si compliqué !

Voilà une semaine qu’on nous présente la France comme au bord de la crise de régime, alors qu’elle est simplement dans une situation, certes inédite en France, mais classique dans toute démocratie parlementaire au scrutin proportionnel.

En effet, le résultat des urnes donne à chaque “bloc” un nombre de sièges insuffisant pour prétendre gouverner seul. C’est la norme dans la plupart des démocraties, comme en Allemagne, Belgique, Suède, Israël…

Dans ces pays, les partis forment une coalition en fonction des résultats des élections, puis négocient pour rédiger un accord de gouvernement, qui remplace les programmes électoraux. Quand la situation est particulièrement complexe et qu’aucun accord de gouvernement n’est trouvé, on tente une nouvelle coalition. C’est ce processus qui peut prendre du temps, mais qui offre l’avantage de produire une feuille de route très claire qui apaise la vie parlementaire.

Quelles sont les possibilités en France ?

(Diagrammes réalisés grâce au simulateur fourni par Le Monde)

  • une coalition alliant le NFP, Divers gauche et Ensemble – 357 sièges (ou même simplement Renaissance – 297) les deux la rejettent absolument
  • une coalition alliant le RN et Ensemble (sans même LR donc) – 311 sièges. Impossible pour des raisons évidentes
  • celle associant le NFP au RN (325 sièges)… L’accord de gouvernement serait relativement facile à trouver (hausse des salaires – par le SMIC pour l’un, par la défiscalisation des augmentations pour l’autre -, abrogation de la réforme des retraites, fin de la niche fiscale des armateurs…) Les points communs ne manquent pas, mais impossible de l’avouer à leurs électorats respectifs. En revanche, d’autres points (immigration…) rendent cette coalition impossible.

    Il reste celle qui serait évidente pour n’importe quel citoyen belge, allemand ou autre : une coalition centrale du PS à LR. La question de la participation d’EELV et du PCF est une question de valeurs : accepte-t-on de gouverner avec des partis qui ont les mêmes positions que LFI sur la laïcité, sur l’Europe, sur l’antisémitisme… et, pour le PCF, sur l’Ukraine, et pour EELV sur le nucléaire et l’anti-progressisme ?

    D’ordinaire, quand on forme une coalition, on essaie de s’accorder avec un minimum de partis pour ne pas rendre l’accord de gouvernement impossible à trouver, mais il peut y avoir des enjeux politiques autres. Par exemple dans notre situation, une coalition plus large pourrait permettre à ces mouvements, EELV et PCF, de sortir de la coupe de LFI, ou d’affirmer une position nationale unitaire sur l’Ukraine.

    Pourquoi ça ne marche pas en France

    Or en France, l’inculture politique et la totale ignorance des mécanismes d’une démocratie parlementaire où le parlement est élu à la proportionnelle empêchent cette évidence d’éclore. En particulier, alors que pour la deuxième fois consécutive la composition de l’Assemblée nationale est similaire à ce qu’elle aurait été avec un scrutin proportionnel, on s’amusera du fait que ce sont ceux qui réclament à cors et à cris un tel mode de scrutin qui en comprennent le moins les implications.

    Ainsi juste après 20h dimanche, Jean-Luc Mélenchon prétendait à la formation d’un gouvernement du NFP et à l’application pleine et entière de son programme. Depuis, n’en démordant pas, les différentes personnalités de l’accord électoral NFP rabâchent que le Premier Ministre doit forcément être issu de leurs rangs, ignorant qu’il leur manque plus de 100 sièges pour avoir une majorité absolue. Lors des cohabitations précédentes, la droite avait obtenu 290 sièges en 1986, 484 en 1993, et la gauche plurielle avait obtenu 319 sièges en 1997, soit à chaque fois la majorité absolue.

    Oh certes, LFI n’est pas seule responsable ! On voit aussi certains membres de LR comme François Bellamy exclure catégoriquement toute coalition avec le centre. Mais force est de constater que c’est le discours omniprésent du NFP qui est commenté, voire relayé comme s’il reposait sur une quelconque réalité constitutionnelle, et qui infuse ainsi dans la société.

    Ce que dit la constitution

    Rappelons-le, le seul guide dont dispose un Etat démocratique en période de crise, c’est sa Constitution. La Constitution de la 5ème république est parfaitement claire sur les modalités de la nomination du Premier Ministre : c’est la prérogative exclusive du Président de la République (Article 8). Les pseudo-règles inventées selon lesquelles il serait nommé par le groupe majoritaire à l’assemblée, ou même le parti majoritaire au sein d’une alliance électorale ayant permis d’obtenir 30% des sièges ne sont en rien constitutionnelles. Elles sont l’application directe du principe léniniste de “centralisme démocratique”, qui est bien sûr tout sauf démocratique.

    Enfermés dans leur bulle et dans leur uchronie, les partis de gauche, leurs syndicats et leurs médias affiliés, ont fini par ignorer les règles élémentaires de notre démocratie. Ce titre de l’Humanité nous semble en être une magnifique illustration.

    Pendant que cette gauche cherche un premier ministre du NFP, ressaisissons-nous et trouvons-en un pour la France.

    3 commentaires sur “C’est pourtant pas si compliqué !

    1. Encore une belle analyse politique, fruit d’une collaboration solide et efficace.
      Notre démocratie française vivra mieux lorsqu’elle s’imprègnera de nouvelles pratiques (apprentissage de la coalition entre autres ainsi que vous le soulignez) et lorsque nos hommes et femmes politiques écouteront mieux la France profonde et délaisseront leurs intérêts propres au profit d’un réel souci de la collectivité, d’un regain des valeurs humanistes et de la valorisation de l’image France.
      Encore MERCI …..

    2. Quelle vision partisane ! Vous défendez notre système du gouvernement représentatif bec et ongles sans aucune analyse sérieuse de ses conséquences. Vous n’avez pas conscience de la réalité oligarchique de ce mode de gouvernance qui nous a emmené dans l’impasse actuelle. C’est pitoyable, vous ne voyez pas l’aspiration légitime des classes populaires défavorisées à une réelle participation à la vie de la cité et aux décisions dont ils font les frais. Vos comparaisons avec d’autres pays sont superficielles et hors contexte. Lisez la presse allemande, et entendez les critiques de plus en plus sévères du peuple allemand à l’encontre du système des coalitions. En fait, comme beaucoup de commentateurs français qui ne cachent pas leur sympathie avec la droite, l’idéologie néolibérale et l’économie financiarisée capitaliste, vous n’affichez rien d’autre que votre mépris de classe acquise par ce que vous croyez être là légitimité absolue, le diplôme supérieur. Vous n’êtes définitivement pas dans le sens de l’histoire…

      1. Bonjour,
        Merci pour la cordialité de votre commentaire qui à elle seule signe une orientation politique.
        La question de la démocratie représentative n’est pas exactement le sujet, et je ne pense pas que vous ignoriez qu’une élection législative vise à élire des députés, les représentants du peuple justement.
        Je passe sur les confusions que vous faites en tous points, mais je note tout de même le idée intéressante qu’une démocratie représentative ne peut être que capitaliste, néolibérale et je ne sais plus quoi. Cela signifie clairement que si un parti anticapitaliste, anti-libéral, et anti-je-ne-sais-plus-quoi (mais j’ai des idées) arrivait au pouvoir par la démocratie, il y mettrait un terme.
        Merci pour la clarté de cet avertissement.

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