Chaque jour, les commentateurs de la vie politique, qu’ils soient eux-mêmes politiques ou, plus grave, journalistes, trouvent un sujet d’étonnement dans les actes de Jean-Luc Mélenchon.
Un jour ils s’étonnent de sa relative modération quand il s’agit de revendiquer le poste de Premier ministre (il s’en sent simplement « capable »), le lendemain ils tombent des nues en apprenant la purge au sein des candidats du Nouveau Front Populaire…
C’est que ces commentateurs souffrent, comme une grande majorité d’entre nous, du mal du siècle : l’incapacité d’écouter ce que les gens disent ou de tenir compte de leurs actes. Le narcissisme 3.0 généralisé nous pousse à accorder plus d’importance aux émotions que nous projetons sur les personnes qu’à ce qu’ils font et disent.
Ainsi en va-t-il de ceux qui, contre toute évidence, nient les horreurs commises par le Hamas, y compris contre la population palestinienne. Le Hamas a beau les filmer, les revendiquer, expliquer clairement sa stratégie exigeant un maximum de victimes palestiniennes, rien n’y fait. Ceux qui veulent y voir un mouvement de résistance écartent les faits et les dires qui contredisent leur préjugé.
Autre exemple : les déçus de Raphaël Glucksmann qui hurlent à la trahison après son ralliement à la gauche poutiniste. Mais c’est qu’ils ne tiennent pas compte des faits ! Glucksmann a fait exactement la même chose en approuvant en 2022 l’accord NUPES un mois après l’invasion généralisée de l’Ukraine ! On veut voir en Glucksmann un héraut de la morale politique, et pour maintenir cette projection on écarte ses actes.
Pour en revenir à Mélenchon, j’écris depuis 10 ans sur son antisémitisme. Cet homme parle clair, dit tout, annonce tout, mais il est suivi par une armada qui fait semblant de ne pas avoir entendu (Vous trouverez ci-dessous la reproduction d’un texte que j’avais écrit quelques semaines avant l’élection de 2017 sur ce sujet précisément : ceux qui pensaient voter Mélenchon alors qu’ils lui prêtaient des propos contraires à ceux qu’il tenait effectivement). Pire, les journalistes dont le métier est précisément de décrypter font exactement l’inverse : alors que le discours et les actes de Mélenchon ne sont justement pas cryptés du tout, ils les tordent pour en faire quelque chose de difficile à comprendre. Combien de fois lit-on le mot « ambiguïtés », souvent au pluriel, associé à Mélenchon ? Un enfant qui apprendrait à lire dans les journaux croirait qu’Ambiguïtés est son prénom !
Et donc, n’écoutant pas Mélenchon mais seulement ce qu’ils projettent sur lui, ils sont tous les jours surpris, et trouvent dans leur surprise matière à nouvelles chroniques, à nouveaux débats.
Or que dit Mélenchon sur sa stratégie ?
Il faut trouver une porte de sortie, donc nous allons en trouver une par la force
J-L Mélenchon, 11 mars 2023, manifestation sur la réforme des retraites
J’ai l’âge qui me permet de me rappeler de l’époque où nous pensions avoir du temps. Si on échouait à une élection, on se retrouverait à la suivante, et nous allions construisant, avec l’infinie patience des milieux populaires. Maintenant, nous n’avons plus de temps, nous n’avons que des délais […] Seule l’action révolutionnaire et subversive, qui assure la rupture avec le capitalisme, peut nous permettre de tirer l’humanité de l’impasse
J-L Mélenchon, 18 juillet 2023, Sommet des peuples, Bruxelles
Qu’est-ce qui n’est pas clair là-dedans ? Mélenchon a compris depuis bien longtemps qu’il n’accèderait pas au pouvoir par les urnes, mais ça n’est pas son problème. En lambertiste, son esprit a été formé, comme celui d’Edwy Plenel, dans l’idée qu’il fallait en passer par le chaos et la destruction de l’ordre établi pour voir émerger une société nouvelle, un homme nouveau.
Ces deux-là, à force de fascination pour le chaos, en ont d’ailleurs oublié totalement le projet final. Le chaos, la destruction, sont devenus leur obsession, une fin en soi. C’est ce qui explique leur alliance avec les islamistes : ceux-là n’ont aucune chance de participer à l’avènement d’une société égalitaire, mais ils sont en revanche des partenaires idéaux pour la destruction de la civilisation et en premier lieu de la démocratie.
Pourquoi cette purge ?
Quand on tient compte des faits et des paroles, les choses s’éclairent. Depuis hier le landerneau politique s’esclaffe à propos de la purge des Corbières, Garrido, Simonnet et consorts. Certains y voient au choix le caprice d’un mégalo (sérieusement ? pensez-vous que Mélenchon commettrait une erreur pareille à ce moment précis ?), la sanction pour le refus de l’antisémitisme (vraiment ? en quoi Simonnet serait-elle concernée alors, elle qui accueillait Corbyn lors de sa campagne de 2022 ou qui laissait le 20ème arrondissement entrer dans le négationnisme à propos de la rafle du Vel d’Hiv ?), la volonté d’écarter des rivaux (soyons sérieux, François Ruffin ou Clémentine Autain, bien plus crédibles comme alternatives, sont, eux, investis…)
Non, bien sûr, il y a une raison rationnelle, une stratégie, mais il faut pour la comprendre se rappeler que Mélenchon a dit clairement qu’il renonçait à la démocratie (voir plus haut). Encore une fois, ce n’est pas difficile, il suffit d’écouter ! Dans ces circonscriptions imperdables pour LFI, il faut désigner des contre-révolutionnaires. Le soir de la défaite électorale au plan national le 7 juillet, Mélenchon accusera les « contre-révolutionnaires » qu’il aura lui-même fabriqués d’avoir détourné la campagne et d’être responsables de la défaite (« on n’a parlé que des petites querelles »…)
Cela illustrera, dans son discours, la nécessité de prendre la rue, de se poser comme chef de la résistance contre le gouvernement RN qu’il appelle de ses vœux, tout en justifiant la radicalité la plus extrême et les actions violentes.
Écoutez Mélenchon
Comparaison n’est pas raison, certes, mais le tabou du point Godwin ne doit pas empêcher de réfléchir. Je ne connais pas beaucoup d’exemples dans l’Histoire d’un homme politique qui prône la destruction de la société, qui dit tout, annonce tout, et dont tout le monde nie le discours, fait semblant d’avoir compris autre chose, ou met ça sur le compte d’une maladresse, d’un « franc-parler », ou d’une mégalomanie mal maîtrisée.
Je ne connais à vrai dire qu’un autre exemple, et ça s’est très, très mal terminé.
Écoutez ce que Mélenchon dit.
Notes
Document – Lettre à mes amis qui pensent voter Mélenchon, Facebook, 8/4/2017