De retour d’Ukraine ce week-end, je suis à Paris pour la première fois depuis le début de la guerre. Je suis dans la ville si chère à mon cœur, baignée dans la douceur d’un long week-end de printemps, l’insouciance des robes courtes et des terrasses pleines – l’incompréhension me frappe, comme j’imagine qu’elle frapperait quiconque revient de ce pays où se déroule un nouveau chapitre de la grande tragédie européenne, après Leningrad 42, Berlin 45, Budapest 56, Prague 68, Sarajevo 1993… le tout à deux heures d’avion.
Mes amis ukrainiens, rencontrés sur la base où j’ai passé le plus clair de mon temps depuis le 1er mars, m’avaient pourtant prévenu, à leur façon.
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Il y eut tout d’abord Rostislav, le prof d’histoire devenu soldat, qui m’aidait lors des exercices au champ de tir, et qui m’avait posé la question : « la France va-t-elle bien voter, Florent ? ». Quelle question ! avais-je répondu, les extrêmes ne seront pas au second tour, la guerre va les rendre inéligibles aux yeux des Francçis qui ne leur pardonneront pas leur soutien au dictateur sanguinaire.
Puis vint Olga, rencontrée avec ses enfants dans le sous-sol des nuits blêmes à attendre que les missiles passent (certains se souviendront d’un chant que j’avais partagé sur les réseaux sociaux), qui voulait que je lui explique ce que la France, ce pays si raffiné et dont elle adore les chansons, pouvait bien trouver à Le Pen pour songer à vouloir être gouverné par elle, l’amie indéfectible de Poutine. J’ai peur, avais-je répondu, mais les gens finiront par faire le bon choix pour l’Ukraine, car ils comprendront que vous vous battez pour nous, pour nos libertés.
Et enfin il y eut Solomia, étudiante qui aidait comme elle pouvait pour notre logistique et l’arrivée de nouveaux combattants, qui me reprocha d’un ton embarrassé – à moi qui était venu, en Ukraine, mais dont le pays semblait songer sérieusement à se laver les mains du sang de son peuple – « j’espère que la France ne va pas nous abandonner ». Et là, je n’ai rien répondu.
Je n’ai rien répondu car je savais que malgré l’immense sympathie suscitée par les souffrances et l’héroïsme du peuple ukrainien, malgré les convois logistiques organisés dans tous les coins de France par des individus et des collectivités, tout cela serait réduit à néant si quelques semaines plus tard la France décidait de se donner à Marine Le Pen, à l’amie de Poutine.
À elle qui, se prétendant patriote, a pourtant toujours réservé ses critiques les plus virulentes au Président de la République Française plutôt qu’au Président de la Fédération de Russie. À elle qui a consacré son énergie à trouver toutes les circonstances atténuantes au tyran du Kremlin, sans jamais prêter aucune vertu au chef d’Etat démocratiquement élu de son propre pays.
Le Pen présidente, cela veut dire la présidence de l’Union Européenne aux mains de la collaboration avec Poutine. Cela veut dire un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU aligné sur la Russie, qui n’aura même plus besoin de la Chine pour arguer qu’elle n’est pas seule. Cela veut dire la fin des sanctions, la fin d’un sursaut européen, et le déclassement diplomatique absolu de la France, traîtresse à ses alliés et ses valeurs.
Alors je me dis qu’à défaut de pouvoir décider par eux-mêmes d’envoi d’armes, de combattants et d’un embargo complet sur les hydrocarbures, il importerait que les Français puissent répondre à Rostislav, Olga et Solomia que la France reste fidèle à elle-même ; le pays qui inventa la nation en 1792, se range aux côtés des opprimés et de la justice, et résiste à la tyrannie lorsque son étendard sanglant est levé.
Que la France ne peut pas laisser ses divisions actuelles l’emporter, avec pour prix la trahison de son rôle historique !
Que les Français ne peuvent pas volontairement choisir l’opprobre et la honte, là où leur choix est scruté par les Ukrainiens qui souffrent et qui sont leurs amis, car tout ami de la liberté est un ami de la France.
En parcourant les rues familières de sa capitale, jamais je n’ai senti aussi intimement l’importance de notre pays bien au-delà de ses frontières ; mon retour me donne à penser qu’il faut parfois s’arracher au confort de la patrie pour l’aimer à sa juste valeur. Toucher du doigt l’oppression pour se souvenir du trésor précieux de la démocratie que nous avons inventée. Sentir, dans tout un peuple qui se bat, le prix de la liberté pour se convaincre que, non ! la nôtre ne se vendra pas aussi facilement dimanche prochain.
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Publication originale Facebook : 𝗠𝗢𝗡 𝗥𝗘𝗧𝗢𝗨𝗥 𝗗’𝗨𝗞𝗥𝗔𝗜𝗡𝗘
Le récit de Florent Coury, Engagé volontaire, Flammarion
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