Donald Trump a pris tout le monde de court en avançant en deux temps une solution pour la bande de Gaza.
Temps 1 : demande à l’Egypte et à la Jordanie d’accueillir la population gazaouie. Refus inévitable et immédiat de ces deux pays, pour les raisons expliquées ici même [les amis Arabes des Palestiniens].
Temps 2 : puisque c’est comme ça, les Etats-Unis prendront le contrôle de la zone, expulseront les Palestiniens et, puisqu’il n’est pas question de financer la reconstruction gratuitement, s’approprieront à terme le territoire pour en faire une Riviera proche-orientale.
Nous ne discuterons pas du bien-fondé ou non de cette solution – les déplacements de populations sont toujours sources de drames et loin de nous l’idée de nous faire l’avocat du diable – mais nous analyserons les réactions qui démontrent pour le moins une difficulté des contradicteurs à regarder la réalité en face.
Depuis cette annonce de Trump en effet, chacun (ONU, États, ONG, « experts » en droit international…) réagit avec des arguments désordonnés qui mettent en lumière le niveau de fantasme avec lequel le monde envisage la situation au Proche-Orient.
1 – “Nettoyage ethnique”. Il n’aura pas fallu attendre la fin de la phrase de Trump pour voir cet argument ressortir. De quelle ethnie parle-t-on ? Des yankees qui remplaceraient une population “arabe” ? Ce n’est pas sérieux. Non, ceux qui parlent de nettoyage ethnique en sont resté à l’idée, démentie lors du temps 1 cité plus haut, que ce serait Israël qui coloniserait la bande de Gaza et donc, ce serait un nettoyage ethnique en remplaçant les Palestiniens par… mais oui, par qui au fait ? quelle serait cette “ethnie” qui remplacerait la population ? Israël n’est pas une ethnie. 20% de sa population est musulmane, il y a des Druzes, des bédouins, des juifs de partout dans le monde (Europe, Afrique du Nord, Ethiopie…).
Même en cas de remplacement de la population, cela n’a rien à voir avec un nettoyage ethnique tel que celui qu’on a pu observer, tiens donc, dans tous les pays arabes qui ont expulsé leurs juifs.
2 – “Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”. C’est avec une certaine stupéfaction que nous avons entendu cet argument de la bouche de plusieurs universitaires et de spécialistes du droit international.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un concept qui permet à une composante – ethnique, culturelle, linguistique…- d’être représentée en tant qu’entité politique au sein de l’ensemble (en général un État) auquel elle appartient, voire de demander son autonomie ou son indépendance. Autrement dit, quel que soit le bout par lequel on prend la chose, cela n’a strictement rien à voir avec le projet de Trump ou la situation palestinienne. Dans la région, ce droit pourrait être invoqué pour les Kurdes (on n’entend pourtant pas grand monde s’émouvoir de leur situation), ou pour les Druzes de Syrie qui demandent – pas encore de manière unitaire il est vrai – leur rattachement… à Israël ! (sûrement pressés de rejoindre un État d’apartheid ?)
Expertise ou réflexe conditionné ?
3 – “Arrachement des Palestiniens à leur terre”. Évidemment, un déplacement de population est toujours dramatique. Mais qu’on en juge :
- Selon la Commission Européenne, il y a actuellement 120 millions de personnes déplacées dans le monde, dont 43 millions de réfugiés (en dehors de leur pays donc). La population gazaouie est de 2,4 millions.
- Mais surtout, rappelons que les Palestiniens bénéficient d’un statut unique au monde : la transmission héréditaire du statut de réfugié. Ainsi, le monde entier matérialise le fait que la terre à laquelle auraient été arrachés les Palestiniens est le territoire d’Israël (ce qui est très largement faux, même si un tiers environ des 700 000 palestiniens ayant quitté le territoire israélien en 1948 l’ont fait sous la contrainte, soit environ 250 000 personnes, contre 7 millions environ de réfugiés aujourd’hui (sans compter les locaux qui habitaient déjà Gaza et la Cisjordanie). Donc la question très prosaïque devient : quelle terre est donc la terre légitime à laquelle ces réfugiés héréditaires peuvent prétendre ? On ne peut asséner pendant 75 ans qu’ils doivent retourner en Israël pour tout d’un coup expliquer que leur terre est la bande de Gaza. Décidez-vous !
4 – Interdiction des déplacements de population par la convention de Genève. L’article 17 du protocole additionnel de cette convention précise en effet que « les personnes civiles ne pourront pas être forcées de quitter leur propre territoire pour des raisons ayant trait au conflit », mais outre le fait, comme vu au point précédent, qu’il est logiquement impossible de prétendre à la fois être réfugié et que le territoire sur lequel on vit soit son propre territoire, on oublie que cet article de la convention s’applique aux conflits non-internationaux, et surtout qu’il prévoit lui-même dans son alinéa 1 l’exception suivante : « Le déplacement de la population civile ne pourra pas être ordonné pour des raisons ayant trait au conflit sauf dans les cas où la sécurité des personnes civiles ou des raisons militaires impératives l’exigent. ». On imagine que les civils israéliens des kibboutzim ont quelques raisons de penser que leur sécurité a été quelque peu mise à mal le 7 octobre 2023 ainsi qu’en mai 2021.
Il convient de rappeler que la perte de territoire et les déplacements de population à la suite d’une défaite militaire étaient la norme jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale et la création de l’ONU, qui rend intangible les frontières. Exemples : 1,2 millions de polonais en 1945, 14,2 millions d’allemands…
Or ici nous en sommes au 14ème conflit militaire déclenché par les pays arabes ou par les Palestiniens contre Israël, et la 14ème défaite. La question de la perte de territoire ne pourra pas rester tabou bien longtemps.
5 – « Cela va à l’encontre de la solution à deux États ». Certes (et encore, est-ce qu’un territoire unifié en Cisjordanie ne la faciliterait pas ?). Mais qui peut encore sérieusement croire dans l’état actuel des choses à cette solution, dont nous rappelons que l’obstacle le plus évident est que les Palestiniens n’en veulent pas (rejet des accords de Camp David en 2000, rejet du plan Olmert en 2008…). Nous abordions déjà cette question des mantras des « anti-israéliens modérés ».

6 – « Le plan d’un promoteur immobilier ». Oui, Trump dit ouvertement vouloir se payer sur la bête, à l’ancienne. Mais l’idée de Gaza comme d’une Riviera proche-orientale n’est pas neuve. Voici quelques images de Gaza avant le dernier conflit. Le tout financé par l’aide internationale et par le Qatar. Une Riviera, c’est ce que Gaza était en passe de devenir, si la folie meurtrière du Hamas et des gazaouis (ce sont bien des « civils » qui ont enlevé des otages et les ont gardés chez eux plus d’un an) n’en avait pas décidé autrement.
Quelques exemples :
https://www.instagram.com/gaza_beauty/?hl=fr
https://www.facebook.com/media/set/?set=a.962788860472124&type=3
https://www.facebook.com/mathaf.hotel/
https://www.youtube.com/watch?v=JBo7i-TXy6s
https://www.youtube.com/watch?v=YM1uP6qVXSI
https://www.youtube.com/watch?v=_JsSXBD8iRg
La liste de ces arguments pour le moins mal calibrés pourrait continuer ainsi longtemps. Encore une fois, nous ne souhaitons pas défendre l’hypothèse de Trump, mais on se rend compte que, si l’on définit comme il est de coutume la psychose par la perte de contact avec la réalité, ceux qui crient au fou sont simplement, sur la question du Proche-Orient, encore plus fous que le fou.