Ce samedi 11 janvier 2025 on commémorait, à l’appel de plusieurs associations dont Vigilance Universités, les massacres de janvier 2015 devant les anciens locaux de Charlie Hebdo.
Parmi les discours puissants que nous y avons entendus, dont celui, combatif et précis, de Marika Bret, nous avons été particulièrement intéressés par celui de la romancière Belinda Cannone, qui s’exprimait au nom de Vigilance Universités. Nous le retranscrivons ici.
Charlie – Hyper Cacher Commémoration du 11 janvier 2025
En 1930, Stefan Zweig dans son essai « Révolte contre la lenteur », avait estimé « pas très habile mais finalement naturelle » la révolte de la jeunesse qui, lors des élections législatives, fit passer de 12 à 107 les sièges des nazis au Reichstag. Klaus Mann lui répondit par une lettre dans laquelle il déclarait : « Tout ce que fait la jeunesse ne nous montre pas la voie de l’avenir. Moi qui dis cela, je suis jeune moi-même. La plupart des gens de mon âge – ou des gens encore plus jeunes – ont fait, avec l’enthousiasme qui devrait être réservé au progrès, le choix de la régression. C’est une chose que nous ne pouvons sous aucun prétexte approuver. Sous aucun prétexte. »
Cette cruelle déclaration, que la jeunesse ne montre pas à coup sûr la voie du progrès trouve un écho inquiétant aujourd’hui. Par exemple, des étudiants de l’Institut d’études politiques de Strasbourg viennent de relancer les blocages après que le conseil d’administration a décidé la reprise du partenariat avec l’université Reichman, de Herzliya, suspendu en juin 2024. Par ailleurs, un lycéen sur deux est opposé au droit des journaux à caricaturer des symboles religieux (11% de plus que l’ensemble des Français), 22% ne condamnent pas explicitement les attentats contre Charlie, et 56% des 18-24 ans ne « se sentent pas Charlie ». En outre, ils revendiquent généralement la liberté de se voiler ou de porter l’abaya dans les enceintes des établissements d’enseignement.
« Liberté de se voiler » car dans une société à la pensée « liquide », les termes même qui définissaient des positions philosophiques et politiques progressistes – liberté, antiracisme, discrimination, féminisme –, sont utilisés par ceux-là même qui les dévoient.
En 2015, des Juifs anonymes, simplement juifs, et des journalistes qui tenaient la critique voire la satire des religions pour une liberté essentielle, ont été la cible d’assassins islamistes. L’époque est loin, 10 ans, où pouvait se lever une foule marchant pour affirmer les valeurs de la République. De nombreux attentats et assassinats islamistes ont eu lieu depuis, l’autocensure règne parmi les enseignants et dans les rédactions, tandis que l’université est devenue un lieu de batailles idéologiques féroces, où l’on découvre que le fascisme n’est plus logé exclusivement à droite de l’échiquier politique.
L’Université est pourtant le lieu où se cultive la possibilité d’un « élargissement » de la pensée, d’un accès à l’émancipation de l’esprit parce qu’on y enseigne le libre exercice de la critique, le réexamen, et la force du débat. On ne sait pas jusqu’à quel point la pédagogie peut prévenir la barbarie, mais on sait que sans elle, son progrès est inéluctable.
V U [Vigilance Universités], Réseau universitaire de veille contre le racisme et l’antisémitisme, contre le racialisme et le communautarisme, et pour la défense de la laïcité, a été créé en 2016 sur le fondement de valeurs, laïcité et universalisme, que nous continuons de porter par des tribunes, des interventions dans les débats qui traversent la société, et par des actions dans les universités. Il était donc naturel que nous manifestions ces valeurs par notre participation à cette journée de commémoration et en solidarité avec les victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, réaffirmant que les Français juifs ont le droit de vivre en paix dans notre pays, et que les journalistes ne connaissent d’autres limites à la liberté de création que celles définies par la loi.
Notre collectif a d’emblée mis le mot de « vigilance » dans son intitulé : ne confondant pas l’immigration avec l’islamisme, la laïcité qui permet de vivre ensemble avec l’intolérance, il prône l’universalisme qui reste l’horizon de toute pensée émancipatrice, et défend la République entendue comme garant de l’égalité devant la loi, défense des minorités les plus exposées contre les discriminations et les persécutions, et organisation laïque de l’État. V U défend les valeurs de la France des Lumières que ses membres continuent d’enseigner à notre jeunesse.
Il adresse aujourd’hui par ma voix un hommage aux victimes. Nous sommes Charlie, nous sommes juifs, nous sommes Boualem Sansal, nous sommes George Floyd, nous sommes les Iraniennes Mahsa Amini et Ahou Daryaei, nous sommes le Palestinien Qusai Jamal Maatan, nous sommes les otages israéliens.
